Luc
Ce matin je me sens mal ; un étrange mal de crâne qui n’en finit pas ; Une ivresse incompréhensible pour moi qui ne boit jamais et surtout une pensée unique : Madeleine !
Madeleine qui crie !qui pleure ! J’en ai la nausée !
Je n’ai pas cessé de rêver d’elle ainsi depuis hier soir.
Je me retourne dans mon lit, je ne trouve pas le sommeil. Madeleine m’appelle.
C’est son esprit qui me hurle.
-Aide-moi ! Aide-moi !
Je suis inquiet.
J’ai voulu l’appeler puis je me suis souvenu. C’était fini depuis longtemps entre nous ; Je devais sortir de sa vie. Ne plus jamais chercher à la revoir.
Elle n’était jamais sortie de la mienne.
Son mari a encore eu une crise. C’est une amie commune qui m’en a informé. Elle était présente lors de l’attaque.
Elle n’a rien pu faire.
J’avais connu Madeleine à l’université. Je suis professeur de lettres et d’iconographie ; Je m’étais étonné puis amusé de voir une étudiante de cet âge.
Peu à peu je m’y étais habitué et je l’avais considéré comme les autres élèves.
Hormis le ‘Madame’ en plus.
Cela me changeait des troupeaux de bacheliers fraîchement débarqués que l’on m’envoyait chaque année à date constante.
Nous avions discuté à la fin d’un cours d’iconographie grecque. Le thème était ‘la Guerre de Troie’, le CYCLE TROYEN.
-Et QUINTUs DE SMYRNE ? Vous l’avez oublié dans votre exposé !il est pourtant important pour la compréhension de la guerre de Troie dans la littérature grecque.
-Quintus de Smyrne de la bataille d’Achille.. ;?
-Et des amazones dont Penthésilée !
_oui, bien sûr, évidement ! répondis-je
Comment dire à une étudiante que je n’avais pas lu l’ouvrage. Pourtant important pour ma carrière.
Les élèves ont la fâcheuse habitude de croire que nous connaissons tout sur tout.Alors que nous survolons en grande partie les sujets.
A vrai dire, j’avais effleuré le sujet pour ma thèse mais je pensais l’exercice peu intéressant. Et voilà qu’une étudiante de1ère année me sortait ce bouquin. Et m’interpelait avec.
Bon dieu !
On peut en rediscuter la semaine prochaine ! la littérature du Vème siècle est vaste, vous savez…
_ce n’est pas du IV éme ?
_Non vous vous trompez, madame, Quintus de Smyrne est un mineur du vème siècle mais tout le monde peut se tromper.dis-je en souriant
-Je croyais… !
-Oh ce n’est rien, tout le monde peut se tromper ! Excusez moi, j’ai un autre cours !
A vrai dire, j’essayais de fuir le plus vite possible. Convaincu qu’elle n’avait peut-être pas tort.
La semaine d ‘après je la retrouvais après le cours, elle avait amené le bouquin !
Elle le posa timide sur mon bureau puis partit. Je ne sus que répondre, pris en faute, démasqué.
Je pris le livre entre les main, elle y avait glissé un mot : oui ! tout le monde peut se tromper en effet !
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Interloqué, je me décidais à faire le premier pas au moins pour la restitution du livre.
J’étais ampli d’un sentiment de curiosité. Je l’attendais à la fin du cours. Elle ne vint pas ; idem la semaine suivante.
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Nous étions enfin 4 semaines après l’affaire ‘QUINTUS’ quand je me décidais à lui parler ;
-Madame S. !
-Oui ?
-pourrais-je vous parlez à la fin du cours ?
-Bien sûr !
Maintenant ,Ouvrez tous vos livres page 32 !
Après 1h30 ennuyante, d’exposés faits à la vite entre deux beuveries que je faisais semblant d’écouter , je ne pouvais pas m’empêcher de regarder Madeleine. S
Un jeune étudiant me rabachait un exposé sur l
Zeus zoomorphe qu’un 2ème année avait dû lui refilé. Dépité je l’interpelait afin d’abréger mes espoirs de professeur, découvreur de talents.
-Bon, c’est tout pour aujourd’hui ! n’oubliez pas le contrôle c’est la semaine prochaine !
-Professeur !
_Oui ? Madame S. Je ne saurai vous dire combien votre dernier exposé m’a ému. Cela faisait longtemps qu’un élève ne m’avait donné autant de bonheur.
-Merci !
-En tant que professeur, j’arrive rarement à voir des devoirs d’une telle qualité ! Vous semblez avoir beaucoup travaillé ?
-beaucoup en effet !
Elle me regardait d’un regard de petite fille. Cela me troublait.
Elle avait les yeux verts ; Je m’aperçu à ce moment que c’était vraiment la première fois que je la regardais vraiment.
(Comment allais je pouvoir placer Quintus de smyrne dans la conversation ?)
Elle était agréable au regard et vêtue d’un pantalon noir et d’un chemisier blanc .
Simple est le mot qui la caractérisait le mieux.
Machinalement ou réflexe de coquetterie perdue , je recherchais la moindre tâche sur mon costume, passait ma main dans mes cheveux poivre et sel.
-J’ai beaucoup aimé Quintus de Smyrne vous savez ?
-Vous l’avez-lu ? Pas moi ! j’ai juste emprunté le livre et lu la préface comme cela !
-Vraiment ! Vous savez …moi non plus !
Comment osais-je dire cela à une étudiante ? à mon étudiante !
Comment allais –je maintenant pouvoir être crédible auprès des autres geignards , de mes collègues?
Madeleine me regarda hagarde puis un énorme rire remplit toute la pièce, je me joins à elle, pauvre Quintus !
Heureusement nous étions seuls !
La semaine d’après, je me pris à considérer cette étudiante d’un air nouveau. La curiosité m’aiguisait l’esprit. La honte aussi
Pourquoi avait-elle repris ses études ? Quel pouvait bien être son parcours ? Que comptait –elle faire après ?
Et puis d’autres interrogations plus personnelles m’assaillirent peu à peu, semaine après semaine. Je me surpris à ces interrogations si lointaines de mon comportement habituel.
Après maintes réflexions, je décidais d’avoir recours aux fiches nominatives que chaque élève me refilait en début d’année.
Une Obligation académique.
Je ne les consultais que rarement dans l’expectative de reconnaître le nom et le prénom de l’élève , se trémoussant tel jour telle heure devant moi dans la jungle estudiantine.
Aujourd’hui, elles allaient m’aider à connaître un peu plus mon étudiante mystérieuse amatrice de littérature latine.
Je trouvais les fiches aisément dans mon bureau. En vrac.
Il y en avait des centaines. J’en profitais pour faire le tri. Tant de visages que je ne faisais que croiser sans jamais les regarder dans les yeux ; Qui étaient-ils ? Que faisaient-ils ? Quels rêves de leurs 20 ans croyaient-ils poursuivre en suivant ces études ? Quelles désillusions auraient-ils ?
Avais-je vraiment envie de me poser ces questions, d’y avoir des réponses ?Non. Avais- je des regrets ?
Ce que je regrettais le plus c’est justement de ne plus en avoir.
Je trouvais enfin ma mystérieuse étudiante. Une photo de télématon en couleur, souriante mais consensuelle était agraffé à sa bordure.
Elle s’appelait Madeleine M. avait 30 ans, ne travaillait pas.
Je caressais la photo et l’emportais avec moi.
Depuis l’affaire ‘quintus’ nos rapports étaient redevenus ceux d’une élève à son professeur. C'est-à-dire distant et froid.
Elle ne se contentait que de répondre aux questions scolaires du groupe.
Les devoirs semblaient bâclés.
De nombreuses absences s’y joignaient. Cela ne semblaient pas lui correspondre. Je l’aurais parié sur ma vie et soudainement j’eus peur. Pourquoi ?
Nous étions à 15 jours des vacances scolaires de février lorsqu’à la fin d’un cours, elle s’approcha de moi timidement.
_monsieur ! Puis- je vous parler un instant ?
_Bien sûr !, justement je désirai vous interpeller au sujet de votre dernière absence ! vous n’étiez pas là pour l’évaluation trimestrielle !
-C’est de cela que j’aimerai vous parler, me dit-elle doucement
Je levais la tête, je venais de prendre mon ‘cartable’. Je la regardais. Elle avait dû pleurer.
Quelques traces noires de rimmel roulaient encore sous l’aube verte de ses jolis yeux. Elle n’avait pas réussi totalement à les effacer.
-Voilà, pourrais-je repasser mon examen ? me dit –elle directement
-Vous savez bien que c’est impossible ! Pourquoi n’étiez vous pas là ? Vous saviez qu’il y avait cette évaluation ?
-En effet ! Mais… J’ai eu un imprévu ! un accident domestique…!
-Cela n’explique pas vos autres absences ! Je devrais déjà vous avoir ôté de ma liste de travaux dirigés.
Je ne l’ai pas fait jusqu’à présent à cause de vos bons résultats de début de trimestre, j’avais pensé à un problème de santé mais si vous n’avez pas une excuse plus percutante...je vais devoir faire comme pour les autres étudiants.
Vous comprenez, je ne peux faire de favoritisme !
-Mon mari a …quelques problèmes me dit-elle cherchant ses mots.
‘Madeleine’ serrait fort ses cahiers ; Elle semblait chercher je ne sais quelle force invisible. Ses yeux cherchaient dans la pièce quasi vide une écoute qui aurait pu la déranger.
-Mon mari est malade et parfois il a des crises, trop rapprochées ses derniers temps et pour les supporter il boit. Trop souvent aussi.
-Quelle genre de maladie ? Si cela n’est pas trop indiscret… ? Dis-je confus
- Il est épileptique !
-Veuillez m’excuser ! Je…
-Vous ne pouviez pas savoir !
- Cela fait longtemps ?
-Quelques mois. Cela c’est déclenché d’un seul coup lors d’un repas familial.Il s’est mis à s’agiter dans tous les sens puis il est tombé sans connaissance. Les secours nous ont dit qu’il s’agissait ‘d’une crise d’épilepsie. C’est comme cela que l’on a su.
Depuis les crises se sont enchaînées ; elles sont devenues si handicapantes pour mon mari qu’il s’est mis à boire pour oublier son état. Ce qui n’a fait qu’aggraver la situation.
-Son médecin ne lui a pas donné des recommandations spécifiques ? Cela m’étonne qu’il le laisse boire. !
-Il n’est pas au courant ! Mon mari n’est plus que l’ombre de lui-même depuis……
‘Madeleine’ étouffa un sanglot. Elle baissa la tête. Elle souhaitait éviter de pleurer en ma présence.Je pensais qu’elle voulait m’évîter de la voir pleurer. Elle ne voulait pas qu’on s’apitoie sur son sort.
-Et si on prenait un petit café pour parler de cette évaluation ? Dis-je de manière hardie.
Je voulais redonner espoir à cette la jeune femme.
-Vraiment !!! C’est possible ?
-Je vais parler au doyen mais vous ne savez rien !
Avez-vous 5 minutes ? Venez je connais une petite brasserie loin de cette jungle en couche culotte. Venez !.
Elle sourit ; La larme qu’elle avait en vain essayée de me cacher roulait maintenant sur sa joue mais plutôt comme un soulagement.
Elle semblait se sentir en confiance, enfin comprise.
Nous nous étions donc retrouvés assis à la brasserie machin ( qui deviendrait par la suite un de nos lieux de rendez vous de prédilection. )
Elle me parla de ses difficultés conjugales ;
Je compris que c’était la première fois qu’elle s’épanchait sur le sujet ; elle restait néanmoins réservée.
-Que comptez vous faire après votre diplôme ?
-j’aimerai enseigner
-Il faudra que vous soyez plus rigoureuse dans votre travail ; Le concours du Capes est très dure et il y a de moins en moins d’élu.
-J’en suis consciente.
-Ecoutez, si vous pouvez venir demain, je vous fais repasser l’évaluation.
-Je vais essayer de me libérer, excusez moi mais je …dois partir maintenant… encore Merci
-9h ! demain ! Je vous attends salle habituelle.
Elle était partie. En courant.
Le lendemain, j’arrivais un quart d’heure en avance. Je tournais en rond dans la salle austère. Je craignais de ne pas la voir ! J’avais peur d’une ‘crise’ inopinée de son mari. Je me mis à regarder ma montre toutes les minutes : moins 5, moins 4 moins 3 minutes…
-Me voici haleta –t-elle
. Elle avait couru. Ses cheveux s’étaient décoiffés laissant tomber son chignon .
-On y va ! lui dis-je en lui donnant le sujet.
Ce fut un succès.
Drinnnnnnnnnng !!! Aie il est 10h30, je dois me mettre à la correction des copies de licence. Courage mon vieux ! Pense à autre chose ! Elle va bien.
Je partis en direction de la cuisine où l’odeur enivrante d’un café brésilien m’attendait dans une tasse ‘I love Sorbonne’ cadeau de Francis, un collègue chercheur.
Je faillis me heurter à un des nombreux livres qui arpentaient mon couloir puis chaque pièce que je traversais.
Sartre dans ‘L’être et le néant’ parlait de l’invasion livresque. Invasion qui surgissait jusqu’aux toilettes et qui dévorait peu à peu l’espace humain.
En heurtant ‘une ménagère illustrée du 19éme siècle,’posée près de la tasse ‘I love Sorbonne’, j’en fus totalement convaincu !
Maintenant au travail !